L'IVROGNE ET SA
FEMME
Chacun a son défaut, où toujours il revient :
Honte ni peur n'y
remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je
n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt (1) de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de
leurs écus.
Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin
nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps :
Un luminaire, un drap
des morts.
Oh! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton (2),
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau (3) propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen
d'enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
La cellerière (4) du
royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la
tombe noire.
Le mari repart sans
songer :
Tu ne leur portes point
à boire ? |
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La fable "La chatte métamorphosée en femme" (II,18)
illustrait déjà : "chassez le naturel, il revient au galop".
Dans " l'ivrogne et sa femme", conte facétieux plutôt que fable (La Fontaine l'annonce lui-même au vers 3),
souvenir....d'Esope, et non invention, La Fontaine illustre la moralité annoncée dès le
début du texte.
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(1) Ici, les suppôts de Bacchus sont les ivrognes
(2) l'une des Furies, Divinités de la vengeance
(3) bouillon chaud
(4) dans un couvent, religieux(se) responsable des réserves de nourriture |
Illustration François Chauveau,
première édition
des Fables 1668
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