LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT
Esope conte
qu'un Manant, (1)
Charitable
autant que peu sage,
Un jour d'hiver
se promenant
A l'entour
de son héritage, (2)
Aperçut un Serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N'ayant pas à vivre
un quart d'heure.
Le Villageois le prend, l'emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer (3)
D'une action
de ce mérite,
Il l'étend
le long du foyer,
Le réchauffe,
le ressuscite.
L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
Ingrat, dit le Manant, voilà donc mon salaire ?
Tu mourras. A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois
serpents de deux coups,
Un tronçon,
la queue et la tête.
L'insecte (4) sautillant, cherche à se réunir,
Mais il ne
put y parvenir.
Il est bon
d'être charitable,
Mais envers
qui ? c'est là le point.
Quant aux
ingrats, il n'en est point
Qui ne meure
enfin misérable.
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La fable est inspirée d'Esope (« Le
Laboureur et le Serpent ») Elle fut reprise par le fabuliste
latin Phèdre
(Macédoine, 10 avant J.-C. - vers 54 après J.-C.). Mais ces deux
auteurs faisaient mourir, non le serpent, mais un laboureur victime de sa bienveillance.
Une autre fable de La Fontaine (« L'Homme et la Couleuvre », Livre
dixième, fable 1), reprend sensiblement le même thème.
(1) Manant : paysan.
(2) Héritage : propriété reçue en héritage.
(3) Loyer : salaire.
(4) Insecte : « On appelle aussi 'insectes' les animaux qui vivent après
qu' ils sont coupés en plusieurs parties, comme la grenouille, les lézards,
serpents, vipères » (Furetière). |