LE RAT ET L'HUÎTRE
Un Rat hôte (1) d'un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares (2) paternels un jour se trouva soû.(3)
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle, (4)
Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu'il fut hors de la case,
Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase :
La moindre taupinée (5) était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétys (6) sur la rive
Avait laissé mainte Huître ; et notre Rat d'abord
Crut voir en les voyant des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire :
Il n'osait voyager, craintif au dernier point :
Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire :
J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain magister (7) le Rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs ;
N'étant pas de ces Rats qui les livres rongeants
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d'Huîtres toutes closes,
Une s'était ouverte, et bâillant au soleil,
Par un doux zéphir réjouie,
Humait l'air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nompareil.
D'aussi loin que le Rat voir cette Huître qui bâille :
Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille ;
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus maître Rat plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs (8) ; car l'Huître tout d'un coup
Se referme, et voilà ce que fait l'ignorance.
Cette fable contient plus d'un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d'étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.
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On a longemps considéré une épigramme d'Antiphile, dans l'Anthologie palatine (IX, 84), reprise par Alciat dans son Emblème 94, comme le texte le plus proche (la capture du rat par l'huître).
Le poète 'est employé en tout cas à préparer un pendant à L'Huître et les Plaideurs ( IX, 9) et à faire écho à la fable Le Cochet, le Chat et le Souriceau (VI, 5). La publication de la fable date de 1671.
(1) habitant
(2) Dieux de la maison
(3) se dit aussi de ce qui rassasie l'esprit (Dict. de Furetière)
(4) tas d'épis laissés sur le sol, qu'on laisse sécher avant d'en faire des bottes.
(5) butte de terrre laissée par les taupes ...
(6) reine de la mer
(7) maître d'école de village
(8) noeuds coulants pour prendre oiseaux, lièvres ou autres gibiers
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