LE RAT ET L'ELEPHANT
Se croire un personnage est fort
commun en France.
On y fait l’homme d’importance,
Et l’on n’est souvent
qu’un bourgeois (1) :
C’est proprement le mal
françois .
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
Leur orgueil me semble en
un mot
Beaucoup plus fou, mais pas
si sot.
Donnons quelque image du
nôtre,
Qui sans doute (2) en vaut
bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Eléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage
(3),
Qui marchait à gros
équipage (4).
Sur l’animal à triple
étage
Une Sultane de renom,
Son Chien, son Chat, et sa
Guenon,
Son Perroquet, sa vieille (5), et toute sa maison,
S’en allait en
pèlerinage.
Le Rat s’étonnait que
les gens
Fussent touchés (6) de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps, qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D’un grain (7) moins que
les Eléphants.
Il en aurait dit davantage
;
Mais le Chat sortant de sa
cage
Lui fit voir en moins d’un
instant
Qu’un Rat n’est pas un
Eléphant.
|
|
La Fontaine s'inspire de Phèdre,
repris par Le Maître de Sacy, mais évite les paroles un peu
scabreuses concernant la comparaison faite par les animaux de certaine
partie de leur corps (chez Phèdre : l'âne et le sanglier
; chez Le Maître de Sacy : un rat et un éléphant). Ici,
l'éléphant ignore le rat, mangé par le chat.
(1) qui n'appartient ni à la
noblesse, ni au clergé
(2) sans aucun doute
(3) de très noble parenté et souche
(4) provision de tout ce qui est nécessaire pour voyager
(5) sa duègne
(6) en admiration
(7) le plus petit des poids dont on se sert pour peser les choses
précieuses (dict. de Furetière)
miniature indienne
|