Javascript Menu by Deluxe-Menu.com fable Jean de La Fontaine : Le pouvoir des fables
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Fable, Jean de La Fontaine, 
Le Pouvoir des Fables,  Livre VIII, fable 4  
 

LE POUVOIR DES FABLES
A M. De Barillon (a)

               La qualité d'Ambassadeur
Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
               Vous avez bien d'autres affaires
               A démêler que les débats
               Du Lapin et de la Belette :
               Lisez-les, ne les lisez pas ;
               Mais empêchez qu'on ne nous mette
               Toute l'Europe sur les bras.
               Que de mille endroits de la terre
               Il nous vienne des ennemis,
               J'y consens ; mais que l'Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d'être amis,
               J'ai peine à digérer la chose.
N'est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre (1) ? et faut-il qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
               Si votre esprit plein de souplesse,
               Par éloquence, et par adresse,
               Peut adoucir les coeurs, et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons ; c'est beaucoup
               Pour un habitant du Parnasse.
               Cependant faites-moi la grâce
               De prendre en don ce peu d'encens.
               Prenez en gré (2) mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n'en dirai pas plus :
               Sur les éloges que l'envie
               Doit avouer qui (3)vous sont dus,
               Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athène (4) autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut
               A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes.
Il fit parler les morts (5), tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout ; personne ne s'émut.
               L'animal aux têtes frivoles
Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter.
Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès , commença-t-il, faisait voyage un jour
               Avec l'Anguille et l'Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,
               Comme l'Hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
               Ce qu'elle fit ? un prompt courroux
               L'anima d'abord contre vous.
Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
               Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
               A ce reproche l'assemblée,
               Par l'apologue réveillée,
               Se donne entière à l'Orateur :
               Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
               Si Peau d'âne (6) m'était conté,
               J'y prendrais un plaisir extrême,
Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.


Source : Abstemius, emprunté à l'anecdote de l'apologue ésopique de L'Orateur Démade

(a) La mission de Paul Barrillon, envoyé comme ambassadeur en Angleterre, fut de rallier le souverain britannique à Louis XIV

 

 

(1) allusion à l'Hydre de Lerne dont les têtes repoussaient après avoir été coupées.
(2) soyez content de, prenez plaisir à
(3) dont l'envie doit avouer qu'ils...
(4) selon la commodité de la versification
(5) en employant une prosopopée, c'est à dire qu'il utilise une figure par laquelle il donne la parole à un défunt ou à un personnage allégorique ...
(6) non le conte de Perrault paru en 1694, mais celui qui est évoqué dans Le Malade imaginaire, ou celui qui termine les Nouvelles récréations et joyeux devis de Bonavenutre des Périers, D'une jeune fille surnommée Peau d'Âne et comment elle fut mariée par le myen que lui donnèrent les petites fourmis

 

 


le pouvoir des fables, Oudry
Illustration : J.B. Oudry

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