LES OREILLES DU LIEVRE
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Un animal cornu blessa de quelques coups (1)
Le lion, qui plein de courroux,
Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de son domaine (2)
Toute bête portant des cornes à son front.
Chèvres, Béliers, Taureaux aussitôt délogèrent,
Daims et Cerfs de climat changèrent (3) ;
Chacun à s'en aller fut prompt.
Un lièvre, apercevant l'ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque Inquisiteur (4)
N'allât interpréter à cornes leur longueur,
Ne les soutînt en tout à des cornes pareilles.
Adieu, voisin grillon, dit-il, je pars d'ici.
Mes oreilles enfin seraient cornes aussi ;
Et quand je les aurais plus courtes qu'une Autruche,
Je craindrais même encor.
Le Grillon repartit :
Cornes cela ? Vous me prenez pour cruche ;
Ce sont oreilles que Dieu fit (5).
On les fera passer pour cornes,
Dit l'animal craintif, et cornes de Licornes.
J'aurai beau protester ; mon dire et mes raisons ;;;;;;;;;;;;
Iront aux Petites-Maisons (6). |
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La fable "Les oreilles du lièvre" trouve sa source chez Faerne (Italie, XVIème siècle). La Fontaine remplace le renard dont il était question par un lièvre : peut-être parce que la fable suivante a pour titre "Le renard ayant la queue coupée" et éviter un double emploi ? Chez Faerne, la moralité était :" Celui qui doit passer sa vie sous un tyran, est souvent condamné comme coupable, même s'il est innocent. Molière dira dans Les femmes savantes :" Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ". Cet état de terreur tyrannique existait au XVIIe siècle. Il existe encore à notre époque dans plusieurs pays du monde, hélas ! La fable est toujours actuelle.
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(1) motivation de la décision du lion
(2) royaume
(3) changèrent de pays
(4) "un des juges établi pour connaître des hérétiques"(Richelet). La Fontaine songe à un tribunal ecclésiastique.(G. Couton, Fables, Garnier)
(5) et ce que Dieu fait ne peut être hérétique...
(6) hôpital réservé aux malades mentaux. L'expression était dans le domaine du proverbe. Ici : seront taxées de folie |
illustration : Cham
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