LE LOUP ET LE CHIEN (*)
Un Loup n'avait que les os et la peau ; Tant les Chiens faisaient
bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli (1), qui s'était fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en
quartiers, Sire Loup l'eût fait
volontiers. Mais il fallait livrer
bataille Et le Mâtin était de
taille A se défendre hardiment. Le Loup donc l'aborde
humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu'il
admire. Il ne tiendra qu'à
vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Quittez les bois, vous
ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres (2), haires (3), et
pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d'assuré, point de franche lippée (4). Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants (5) ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire ; Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons (6) : Os de poulets, os de pigeons, ........Sans parler de mainte caresse.
Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant il vit le col du Chien, pelé :
Qu'est-ce là ? lui dit-il. Rien. Quoi ? rien ? Peu de
chose.
Mais encor ? Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? Pas toujours, mais qu'importe ? Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor. |
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La leçon d'indépendance que vous allez lire a pourtant été désapprouvée par Jean-Jacques Rousseau
dans "l'Emile" . Il écrit :
"Je n'oublierai jamais d'avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu'on avait désolée avec cette fable.
[...] La pauvre enfant s'ennuyait d'être à la chaîne : elle se sentait le cou pelé ; elle pleurait de n'être
pas loup."
(*) Les sources de la fable sont Phèdre (III,7)
(traduction Sacy) qui s'inspirait lui-même d'Esope (Névelet)
(1) le poil luisant
(2) se dit proverbialement d'un homme pauvre qui n'est capable de faire ni bien ni mal (Furetière)
(3) homme qui est sans bien ou sans crédit (Furetière).
Ici : pauvre hère
(4) signifie au propre autant de viande qu'on en peut emporter avec la lippe, ou les lèvres (Furetière)
(5) portants et mendiants prennent un "s", pourtant, ce sont des participes présent ; ce n'est qu'à partir de 1679 que l'Académie déclarera qu'ils doivent rester invariables.
(6) restes
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Le loup et le Chien, illustration de Henry Morin
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