Javascript Menu by Deluxe-Menu.com fable Jean de La Fontaine : La goutte et l'araignée
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison
Fable, Jean de La Fontaine, 
La Goutte et l'Araignée,  Livre III, fable 8
 

LA GOUTTE ET L'ARAIGNÉE

Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée :
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
            D'être pour l'humaine lignée
            Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
            Voyez-vous ces cases étrètes (1),
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
            Tenez donc ; voici deux bûchettes :
            Accommodez-vous, ou tirez (2).
Il n'est rien, dit l'Aragne (3), aux cases qui me plaise.
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins
            De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet (4),
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
            Jamais Hippocrate me somme (5).
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie ;
Travaille à demeurer ; voilà sa toile ourdie ;
            Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue ; autre coup de balai :
Le pauvre Bestion (6) tous les jours déménage.
            Enfin après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
            Plus malheureuse mille fois
            Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer (7). Goutte bien tracassée
            Est, dit-on, à demi pansée.
Oh ! je ne saurais plus, dit-elle, y résister :
Changeons, ma sœur l'Aragne. Et l'autre d'écouter.
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte d'autre part, va tout droit se loger
            Chez un Prélat qu'elle condamne
            A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte (8) ;
Et fit très sagement de changer de logis.


Les sources de cette fable remontent à un conte inséré par Pétrarque dans une lettre à Jean Colonna, rentré ensuite dans d'autres recueils de contes facétieux.
Traditionnellement, la goutte, cette maladie qui se traduit par de fortes  inflammations des orteils et genoux notamment, habite plutôt chez les riches, tandis que les araignées habitent plutôt chez les pauvres...
Ici, La Fontaine donne à l'Enfer le soin de laisser aux deux
"redoutables" le choix de leur logis. Elles décident de rompre la tradition et d'inverser leur lieu d'habitation...
Comment cela va-t-il se passer ? Et se terminer ?

 

(1) étroites : écriture ancienne utilisée ici pour rimer
avec "retraites"
(2) mettez-vous d'accord ou tirez à la courte paille
(3) l'araignée
(4) s'y établit
(5) j'aurai du travail et les médecins ne réussiront pas
à me chasser (surtout chez un pauvre !)
(6) petite bête
(7) remuer la terre avec la houe
(8) Au XVIIe siècle, on ne distinguait pas "conte" de "compte"

illstration, J.J. Grandville
Illustration : J.J. Grandville

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