Javascript Menu by Deluxe-Menu.com le gascon puni, conte de La Fontaine
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison
Conte :  JEAN DE LA FONTAINE
Le gascon puni,  Contes et nouvelles en vers (deuxième partie )
 
La Fontaine s'inspire d'un épisode de la "Précaution inutile" de Scarron, qui imitait lui-même soit le conteur italien Parabosco, soit Bonaventure des Périers (La Fontaine, Contes et nouvelles en vers, édition de Georges Couton) 

       LE GASCON PUNI

        Un Gascon, pour s'être vanté
        De posséder certaine belle
        Fut puni de sa vanité
        D'une façon assez nouvelle.
Il se vantait à faux et ne possédait rien.
Mais quoi ! tout médisant est prophète en ce monde
On croit le mal d'abord, mais à l'égard du bien
        Il faut qu'un public en réponde.
La dame cependant du Gascon se moquait:
Même au logis pour lui rarement elle était:
        Et bien souvent qu'il la traitait
        D'incomparable et de divine,
        La belle aussitôt s'enfuyait,
        S'allant sauver chez sa voisine.
Elle avait nom Philis, son voisin Eurilas,
La voisine Cloris, le Gascon Dorilas,
Un sien ami, Damon: c'est tout, si j'ai mémoire.
Ce Damon, de Cloris, à ce que dit l'histoire,
Etait amant aimé, galant (1), comme on voudra,
Quelque chose de plus encor que tout cela.
Pour Philis, son humeur libre, gaie, et sincère
        Montrait qu'elle était sans affaire (2),
        Sans secret, et sans passion.
On ignorait le prix de sa possession :
Seulement à l'user chacun la croyait bonne.
Elle approchait vingt ans; et venait d'enterrer
Un mari (de ceux-là que l'on perd sans pleurer,
Vieux barbon qui laissait d'écus plein une tonne.)
        En mille endroits de sa personne
La belle avait de quoi mettre un Gascon aux cieux,
        Des attraits par-dessus les yeux,
        Je ne sais quel air de pucelle,
        Mais le coeur tant soit peu rebelle ;
Rebelle toutefois de la bonne façon.
        Voilà Philis. Quant au Gascon,
        Il était Gascon, c'est tout dire.
        Je laisse à penser si le sire
        Importuna la veuve, et s'il fit des serments
        Ceux des Gascons et des Normands
        Passent peu pour mots d'Evangile.
        C'était pourtant chose facile
De croire Dorilas de Philis amoureux;
Mais il voulait aussi que l'on le crut heureux.
Philis dissimulant, dit un jour à cet homme :
        Je veux un service de vous :
        Ce n'est pas d'aller jusqu'à Rome ;
C'est que vous nous aidiez à tromper un jaloux.
La chose est sans péril, et même fort aisée.

        Nous voulons que cette nuit-ci
        Vous couchiez avec le mari
        De Cloris, qui m'en a priée.
        Avec Damon s'étant brouillée,
Il leur faut une nuit entière, et par-delà,
Pour démêler entre eux tout ce différend-là.
        Notre but est qu'Eurilas pense,
Vous sentant près de lui, que ce soit sa moitié.
Il ne lui touche point, vit dedans l'abstinence,
Et, soit par jalousie, ou bien par impuissance,
A retranché d'hymen certains droits d'amitié;
    Ronfle toujours, fait la nuit d'une traite:
C'est assez qu'en son lit il trouve une cornette.
Nous vous ajusterons: enfin, ne craignez rien:
        Je vous récompenserai bien.
Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eut couché, dit-il, avec le diable.
La nuit vient, on le coiffe, on le met au grand lit,
On éteint les flambeaux, Eurilas prend sa place;
        Du Gascon la peur se saisit;
        Il devient aussi froid que glace;
        N'oserait tousser ni cracher (3),
        Beaucoup moins encor s'approcher:
Se fait petit, se serre, au bord se va nicher,
Et ne tient que moitié de la rive occupée:
Je crois qu'on l'aurait mis dans un fourreau d'épée.
Son coucheur cette nuit se retourna cent fois;
Et jusque sur le nez lui porta certains doigts
        Que la peur lui fit trouver rudes.
        Le pis de ses inquiétudes,
C'est qu'il craignait qu'enfin un caprice amoureux
Ne prit à ce mari: tels cas sont dangereux,
Lorsque l'un des conjoints se sent privé du somme.
Toujours nouveaux sujets alarmaient le pauvre homme.
L'on étendait un pied; l'on approchait un bras:
Il crut même sentir la barbe d'Eurilas.
Mais voici quelque chose à mon sens de terrible.
Une sonnette était près du chevet du lit:
Eurilas de sonner, et faire un bruit horrible.
        Le Gascon se pâme à ce bruit;
        Cette fois-là se croit détruit,
        Fait un voeu, renonce à sa dame;
        Et songe au salut de son âme.
Personne ne venant, Eurilas s'endormit
        Avant qu'il fut jour on ouvrit
Philis l'avait promis; quand voici de plus belle
        Un flambeau comble de tous maux.
        Le Gascon après ces travaux
        Se fût bien levé sans chandelle.
Sa perte était alors un point tout assuré.
On approche du lit. Le pauvre homme éclaire
        Prie Eurilas qu'il lui pardonne.
        Je le veux, dit une personne
        D'un ton de voix rempli d'appas.
        C'était Philis, qui d'Eurilas
Avait tenu la place, et qui sans trop attendre
        Tout en chemise s'alla rendre
Dans les bras de Cloris qu'accompagnait Damon.
C'étais, dis-je, Philis, qui conta du Gascon
        La peine et la frayeur extrême
Et qui pour l'obliger à se tuer soi-même,
    En lui montrant ce qu'il avait perdu,
        Laissait son sein à demi-nu.
Le gascon puni, de Nicolas Vleughels (1668-1737)
Le gascon puni
 

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