A MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON
Je ne sais, Madame, qu’écrire
à V. A. qui soit digne d’elle,
et qui puisse la réjouir. Il m’a semblé que la poésie s’acquitterait
mieux de ce devoir que la simple prose. Il m’a encore paru qu’il
vous fallait donner un nom du Parnasse. Je crois vous avoir déjà
donné celui d’Olympe en des occasions de pareille nature. Ne
pourrait-on point mettre en chant ces paroles?
Qu’Olympe a de beautés, de grâces et de
charmes
Elle sait enchanter les esprits et les yeux
Mortels, aimez-la tous; mais ce n’est qu’à des dieux
Qu'est réservé l’honneur de
lui rendre les armes.
Ce que je vais ajouter n’est pas moins vrai, et m’a
été confirmé par des correspondants que j’ai toujours eus à
Paphos, à Cythère, et à Amathonte. Je me doutais bien que cela
serait, et m’en étais déjà aperçu la dernière fois que j’eus
l’honneur de vous voir.
La mère des Amours et la reine des Grâces,
C’est Bouillon ; et Vénus lui cède ses emplois.
Tout ce peuple à l’envi s’empresse sur vos traces
Plus nombreux qu’il n’était, et tout fier de vos lois.
Vous fîtes dire l’année passée à M. de la
Haye1 qu’il eût soin que je ne m’ennuyasse point à
Château-Thierry. Il est fort aisé à M. de la Haye de satisfaire à
cet ordre; car, outre qu’il a beaucoup d’esprit,
Peut-on s’ennuyer en des lieux 2
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
D’une aimable et vive princesse,
A pied blanc et mignon, à brune et longue tresse,
Nez troussé, c’est un charme encor selon mon sens;
C’en est même un des plus puissants.
Pour moi, le temps d’aimer est passé, je 1’avoue,
Et je mérite qu’on me loue
De ce libre et sincère aveu,
Dont pourtant le public se souciera très peu
Que j’aime ou n’aime pas, c’est pour lui même chose;
Mais, s’il arrive que mon coeur
Retourne à l’avenir dans sa première erreur,
Nez aquilins et longs n’en seront pas la cause.
à Château-Thierry, juin 1671. |