LE CURE ET LE MORT
Un
mort s'en allait tristement
S'emparer
de (1) son dernier gîte
;
Un
Curé s'en
allait gaiement
Enterrer
ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien
et dûment
empaqueté,
Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe
d'hiver, robe d'été,
Que
les morts ne dépouillent
guère.
Le
Pasteur était à côté,
Et
récitait à l'ordinaire (2)
Maintes
dévotes
oraisons,
Et
des psaumes et des leçons,
Et
des versets et des répons (3)
:
Monsieur
le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il
ne s'agit que du salaire.
Messire Jean Chouart (4) couvait des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor,
Et
des regards semblait lui dire :
Monsieur
le Mort, j'aurai de vous
Tant
en argent, et tant en cire, (5)
Et
tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du
meilleur vin des environs ;
Certaine
nièce
assez propette
Et
sa chambrière
Pâquette
Devaient
voir des cotillons.
Sur
cette agréable
pensée
Un
heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire
Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre
Curé suit
son Seigneur ;
Tous
deux s'en vont de compagnie.
Proprement
toute notre vie ;
Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait,
Et
la fable du Pot au lait.
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Source : un fait divers de l'époque. Mme de Sévigné écrit à sa fille
le 26/02/1672 :
M. De Boufflers a tué un homme après sa mort.Il était dans sa
bière et en carrosse ; on le menait à une lieue de Boufflers pour
l'enterrer ; on verse ; la bière coupe le cou du pauvre curé.
(1) façon ironique de présenter la situation
(2) comme il se doit en de pareilles circonstances
(3) partie chantée par l'assistance
(4) Messire est le titre des gens d'Eglise sur les actes notériés.
Le nom de Jean Chouart vient de Rabelais où il désigne "la
braguette". Le curé ici est un "bon vivant"
(5) les cierges font partie du bénéfice du curé
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