Cette fable est la première du premier recueil (124 fables, divisées en 6 livres) paru
en mars 1668. Ce recueil est dédié au Dauphin, le fils de Louis XIV et de
Marie-Thérèse, alors âgé de 6 ans et demi. La dédicace est en prose, suivie de la
Préface au lecteur, de la traduction libre de la "Vie d'Esope", et se termine par un
compliment en vers reprenant et résumant l'essentiel de la dédicace
en prose.
"Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint"
"Je chante les héros dont Esope est le père"....sont des extraits célèbres
de cette dédicace
LA CIGALE ET LA FOURMI (*)
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau (1).
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'août (2), foi d'animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n'est pas prêteuse ;
C'est là son moindre défaut (3).
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse (4).
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j'en suis fort aise :
Et bien ! dansez maintenant.
|
|
(*) sources : "le canevas de départ pouvait être fourni au poète
à la fois par l'apologue original d'Esope et par la version qu'en propose
Aphtonius, qui figurent l'une et l'autre, avec leur traduction
latine, dans le recueil de Nevelet."
(M.Fumaroli : L.F. Fables, éd. La Pochothèque)
(1) Jean-Henri Fabre (1823-1915) dans ses "Souvenirs entomologiques" relève les
erreurs de L.F. concernant la cigale : elle ne dispose pour s'alimenter que d'un suçoir
et n'a rien à faire de mouches ou de vermisseaux.
Il y a d'autres fantaisies : La cigale meurt à la fin de l'été et
ne peut donc crier famine quand la bise souffle.
La fourmi, qui dort en hiver dans sa fourmilière ne peut l'entendre
; d'autre part, elle est carnivore et n'amasse pas le grain...
"La Fontaine est un naturaliste plein de fantaisie, sans souci de la
vérité [...]. Mais [...], c'est un peintre animalier de grande valeur." (René Bray
Les "Fables" de L.F.)
(2) L'août est la "moisson qui se fait durant le mois d'août" (Richelet)
(3) comprendre qu'elle n'a pas ce défaut : elle est tellement économe
que la bienfaisance fait partie du gaspillage.
(4) à l'époque, ce féminin n'est utilisé que dans le burlesque, en
riant.
|