LE
CHAT ET UN VIEUX RAT
J'ai lu, chez
un conteur de fables,
Qu'un second Rodilard (1), l'Alexandre des Chats, (2) L'Attila,
le fléau des rats,(3) Rendait ces
derniers misérables. (4) J'ai lu, dis-je,
en certain auteur, Que ce chat
exterminateur,(5)
Vrai Cerbère(6), était craint une lieue à la ronde
:
Il voulait de Souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui, La mort-aux-Rats,
les souricières, N'étaient
que jeux au prix de lui. Comme il voit
que dans leurs tanières Les Souris étaient
prisonnières,
Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le Galand fait le mort, et du haut d'un plancher (7)
Se pend la tête en bas. La Bête scélérate À de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des Souris croit que c'est châtiment ;
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage ;
Enfin qu'on a pendu le mauvais Garnement. Toutes, dis-je,
unanimement
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête, Puis rentrent
dans leurs nids à Rats, Puis ressortant
font quatre pas, Puis enfin
se mettent en quête. Mais voici
bien une autre fête :
Le pendu ressuscite ; et sur ses pieds tombant, Attrape les
plus paresseuses.
Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant :
C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas ; je vous en avertis ; Vous viendrez
toutes au logis. Il prophétisait
vrai : notre maître Mitis
Pour la seconde fois les trompe et les affine, Blanchit sa
robe et s'enfarine ; Et de la sorte
déguisé,
Se niche et se blottit dans une huche ouverte. Ce fut à lui
bien avisé :
La Gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un Rat sans plus s'abstient d'aller flairer autour.
C'était un vieux routier ; il savait plus d'un tour ;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au Général des Chats :
Je soupçonne dessous encor quelque machine. Rien ne te
sert d'être farine ;
Car quand tu serais sac, je n'approcherais pas.
C'était bien dit à lui ; j'approuve sa prudence. Il était
expérimenté, Et savait
que la méfiance Est mère
de la sûreté. |
Dans Esope, la ruse du chat est de se pendre ;
dans Phèdre, celle de la belette est de s'enfariner
et de faire la morte.
La Fontaine a rassemblé les deux ruses pour écrire la fable
:
(1) on trouve ce nom chez Rabelais. Chez La Fontaine,
ce nom étaitdéjà utilisé dans " Conseil tenu
par les rats :II,2
(2) référence à Alexandre Le Grand ....burlesque
voulu !
(3) Attila était "le fléau de Dieu"...voici le fléau
des rats !
encore une comparaison burlesque
(4) dignes de pitié
(5) Alexandre, Attila, voici "l'ange exterminateur !)
(6)dans l'antiquité, Cerbère était un chien à 3
têtes qui
gardait les Enfers. Voici ce qualificatif appliqué à notre
chat !
(7) le même mot indique ce sur quoi on marche et ce
qui est au-dessus de la tête. Ici, c'est le plafond.
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