L'ANE
ET LE PETIT CHIEN
Ne forçons
point notre talent ;
Nous ne
ferions rien avec grâce (1) :
Jamais
un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne
saurait passer pour galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus (2) avec la vie.
C'est
un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui,
pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
«Comment
? disait-il en son âme,
Ce
chien, parce qu'il est mignon,
Vivra
de pair à compagnon (3)
Avec
Monsieur, avec madame !
Et
j'aurai des coups de bâton !
Que
fait-il ? Il donne la patte ;
Puis
aussitôt il est baisé.
S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela
n'est pas bien malaisé."»
Dans
cette admirable pensée,
Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève
une corne toute usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner pour plus grand ornement
De son chant gracieux cette action hardie.
« Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin bâton. »
Martin bâton accourt : l'âne change de ton.
Ainsi
finit la comédie.
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(*) Source : Esope "le chien et son maître"
recueil Névelet, p.261
(1) Mlle de Scudéry, dans "Le Grand Cyrus", dans une conversation sur l'art de railler avec grâce :
" [...] ce que je veux principalement, est que chacun connaisse son talent, et s'en contente [...]."
(J.P. Collinet)
(2) "qu'il a plu à Dieu de verser dans l'âme"
(dict. de l'Académie, 1694) (la science infuse)
(3) vivra en égal
(4) "On dit Martin bâton, en parlant d'un bâton dont on frappe les ânes, qu'on appelle Martin, comme si on
disait le bâton à Martin" (Furetière)
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