L'Âne chargE d'Eponges et l'Âne
chargÉ de sel
(*)
Un Ânier, son sceptre (1) à la main,
Menait, en Empereur romain,
Deux Coursiers à longues oreilles.
L'un d'éponges chargé, marchait comme un courrier (2) ;
Et l'autre se faisant prier
Portait, comme on dit, les bouteilles (3) :
Sa charge était de sel. Nos gaillards Pèlerins,
Par monts, par vaux et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L'ânier qui tous les jours traversait ce gué là,
Sur l'Âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre Bête,
Qui voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa (4) ;
Car au bout de quelques nagées (5),
Tout son sel se fondit si bien
Que le Baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.
Camarade Épongier (5) prit exemple sur lui,
Comme un mouton (6) qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon Âne à l'eau, jusqu'au col il se plonge,
Lui, le Conducteur, et
l'Éponge.
Tous trois burent d'autant (7): l'Ânier et le Grison (8)
Firent à l'éponge raison.
Celle-ci devint si pesante,
Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'Âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait dans l'attente
D'une prompte et certaine mort.
Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe ;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point. (9)
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(*) Source : Ésope "L'âne qui porte du sel", où un même âne est chargé d'abord de sel, puis d'éponges.
L'idée de mettre en scène 2 animaux vient de Faerne.
Verdizzotti avait repris le sujet. Ces deux derniers auteurs sont la source de La Fontaine.(d'après G. Couton, Garnier)
(1) en principe, on parle du bâton de l'ânier...L'emploi des termes dans ces
3 premiers vers dépasse de façon burlesque les idées à exprimer.
(2) comme celui qui porte les dépêches à vive allure.
(3) on peut penser qu'il portait des choses fragiles.
(4) s'en alla
(5) mots amusants, inventés par La Fontaine.
(6) allusion aux "moutons de Panurge" (Rabelais, Quart
Livre)
(7) burent beaucoup
(8) l'âne
(9) Moralité chez Faerne : "La même méthode ne convient
pas à tout le monde" (d'après la traduction de la fable latine
de
M.Fumaroli "Fables" éd. La pochothèque)
M. de La Fontaine à
la BénédictineLes trois vers repris sur la carte sont écrits en gras dans le
texte de la fable
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