Javascript Menu by Deluxe-Menu.com épître de Jean de La Fontaine : A Monsieur le duc de Bouillon
portrait de Jean de La Fontaine le corbeau de la fable jardin de la maison natale actuellement le perron de l'entrée de la maison
Oeuvres diverses, Jean de La Fontaine, 
A Monsieur le Duc de Bouillon (composition : avril-mai 1662)
 
A MONSIEUR LE DUC DE BOUILLON
La Fontaine demande au duc de Bouillon d'intervenir auprès de Colbert pour faire retirer une amende de 2000 livres qu'il avait contractée pour avoir pris malencontreusement le titre d'écuyer ...

Fils et neveu de favoris de Mars*,
Qui ne soyez chez vous de toutes parts
Ni de vertu ne d'exemple vulgaire,
Qui de par vous et de par votre père
Avez acquis l'amour de tous les coeurs,
Digne héritier d'un peuple de vainqueurs,
Ecoutez-moi ; qu'un moment de contrainte
Tienne votre âme attentive à ma plainte :
Sur mon malheur daignez vous arrêter ;
En ce temps-ci, c'est beaucoup d'écouter.
La sotte peur d'importuner un prince,
Vice non pas de cour, mais de province,
Comme Phébus est mauvais courtisan,
M'avait lié la voix jusqu'à présent ;
Une autre peur à son tour me domine,
Et j'ai chassé cette honte enfantine ;
Je parle enfin, et fais parler encor,
Non mon mérite, il n'est pas assez fort,
Mais mon seul zèle et sa ferveur constante :
Car tout héros de cela se contente ;
Puis, pour toucher un prince généreux,
C'est bien assez que l'on soit malheureux.
Je le suis donc, grâces à l'écurie, (1)
Et ne suis pas seul de ma confrérie ;
Un partisan nous ruine tout net :
Ce partisan, c'est La Vallée Cornay.
Dessous sa griffe il faut que chacun danse ;
D'autre Antechrist je ne connais en France :
Homme rusé, Janus (2)à double front,
L'un de rigueur, l'autre à composer prompt.
Les distinguer n'est pas chose facile ;
L'un après l'autre, ils exercent ma bile :
Quand La Vallée, en se faisant prier,
Dit qu'il me veut manger tout le dernier,
Cornay poursuit ; et, quand Cornay retarde,
À La Vallée il me faut prendre garde.
Prince, je ris, mais ce n'est qu'en ces vers ;
L'ennui me vient de mille endroits divers,
Du Parlement, des Aides, de la Chambre,
Du lieu fameux par le sept de septembre (3),
De la Bastille, et puis du Limosin;(4)
Il me viendra des Indes à la fin.
Je ne dis pas qu'il soit juste qu'on voie
Le nom de noble à toutes gens en proie ;
C'est un abus, il faut le prévenir,
Et sans pitié les coupables punir :
Il le faut, dis-je, et c'est où nous en sommes.
Mais le moins fier, mais le moins vain des hommes,
Qui n'a jamais prétendu s'appuyer
Duvain honneur de cemot d'écuyer,
Qui rit de ceux qui veulent le parêtre,
Qui ne l'est point, qui n'a point voulu l'être !
C'est ce qui rend mon esprit étonné.
Avec cela le me vois condamné,
Mais par défaut. J'étais lors en Champagne,
Dormant, rêvant, allant par la campagne,
Mon procureur dessus quelque autre point,(5)
Et ne songeant à moi ni peu ni point,
Tant il croyait que l'affaire était bonne.
On l'a surpris ; que Dieu le lui pardonne !
Il est bon homme, habile, et mon ami,
Sait tous les tours ; mais il s'est endormi.
Thomas Bousseau n'en a pas fait de même ;
Sa vigilance en tels cas est extrême ;
Il prend son temps et fait tout ce qu'il faut
Pour obtenir un arrêt par défaut.
Le rapporteur m'en a donné l'endosse,
En celui-ci mettant toute la sauce. (6)
S'il eut voulu quelque peu différer,
La Cour, Seigneur, eût pu considérer
Que j'ai toujours été compris aux tailles,
Qu'en nul partage, ou contrat d'épousailles,
En jugements intitulés (7) de moi,
En acte aucun qui puisse nuire au roi,
Je n'ai voulu passer pour gentilhomme
Thomas Bousseau n'a su produire en somme
Que deux contrats, si chétifs que rien plus,
Signés de moi, mais sans les avoir lus :
Et lisez-vous tout ce qu'on vous apporte ?
J'aurais signé ma mort de même sorte.
Voilà, Seigneur, le fait en peu de mots :
Je vous arrête à d'étranges propos ;
N'en accusez que ma raison troublée ;
Sous le chagrin mon âme est accablée ;
L'excès du mal m'ôte tout jugement.
Que me sert-il de vivre innocemment,
D'être sans faste et cultiver les Muses ?
Hélas !qu'un jour elles seront confuses,
Quand on viendra leur dire en soupirant :
" Ce nourrisson que vous chérissiez tant,
Moins pour ses vers que pour ses mœurs faciles,
Qui préférait à la pompe des villes
Vos antres cois, vos chants simples et doux,
Qui dès l'enfance a vécu parmi vous,
Est succombé sous une injuste peine ;
Et, d'affecter une qualité vaine
Repris à faux, condamné sans raison,
Couvert de honte, est mort dans la prison ! »

Voilà le sort que les dieux me promettent :
Et sous Louis ces choses se permettent,
Louis, ce sage et juge souverain !
Que ne sait-il qu'un arrêt inhumain
M'a condamné, moi qui n'ai point fait faute !
À quelle amende ? Elle est, Seigneur, si haute
Qu'en la payant je ne ferai point mal
De stipuler qu'au moins dans l'hôpital,
Puisqu'il ne faut espérer nulles grâces,
Pour mon argent j'obtiendrai quatre places :
Une pour moi, pour ma femme une aussi,
Pour mon frère une, encor que de ceci
Il soit injuste après tout qu'il pâtisse,
Bref, pour mon fils, y compris sa nourrice.(8)
Sans point d'abus les voilà justement, (9)
Comptant pour un la nourrice et l'enfant ;
Il est petit, et la chose est bien juste.
Si toutefois notre monarque auguste
Cassait l'arrêt, cela serait, Seigneur,
Selon mon sens, bien plus à son honneur.
De lui parler, je n'en vaux pas la peine :
S'il s'agissait de quelque grand domaine,
De quelque chose important à l'État,
Si c'était, dis-je, une affaire d'éclat,
Je vous prierais d'implorer sa justice.
À ce défaut, il est bon que j'agisse
Près de celui qui dispose de tout, (10)
Qui par ses soins peut seul venir à bout
De réformer, de rétablir la France,
Chasser le luxe, amener l'abondance,
Rendre le prince et les sujets contents ;
Mais il lui faut encore un peu de temps,
Et le mas est que je ne puis attendre :
Moi mort de faim, on aura beau m'apprendre
L'heureux état où seront ces climats,
Pour en jouir, je n'en reviendrai pas.
Demandez donc à ce ministre rare
Que par pitié du reste il me sépare. (11)
Il le fera, n'en doutez point, Seigneur.
Si votre épouse était même d'humeur
A dire encore un mot sur cette affaire,
Comme elle sait persuader et plaire,
Inspire un charme à tout ce qu'elle dit,
Touche toujours le coeur quand et l'esprit,
Je suis certain qu'une double entremise
De cette amende obtiendrait la remise.
Demandez-la, Seigneur, et m'en croyez :
Mais que ce soit si bien que vous l'ayez,
Et vous l'aurez ; j'engage à Votre Altesse
Ma foi, mon bien, mon honneur, ma promesse,
Que ce ministre, aimé de notre roi,
Si vous parlez, inclinera pour moi. (12)


* Il s'agit de Godefroy-Maurice de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, et seigneur de Château-Thierry, qui épousa Marie-Anne Mancini, nièce de Mazarin. Il est le fils de Frédéric- Maurice de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, et le neveu de Turenne.
(1) Au titre d'écuyer !!
(2) Dieu romain représenté avec 2 têtes opposées. Sans doute un dieu du passage En savoir plus http://www.universalis.fr/encyclopedie/janus/
(3) Allusion à l'arrestation de Fouquet
(4) Allusion à l'ordre reçu par Mme Fouquet de s'en aller à Limoges, donc d'être exilée, suite à l'arrestation de son mari. L'orthographe Limosin (Limousin) était courante à l'époque
(5) La personne chargée de gérer les intérêts de La Fontaine devait s'occuper d'autres affaires, et a négligé celle-là
(6) Le procureur au Parlement de Paris a chargé le poète, le faisant ainsi condamner au maximum
(7) En jugement dans lequel l'intitulé devait faire apparaître les qualités du prévenu (La Fontaine ...)
(8) Pour créer l'attendrissement : Charles, son fils, était alors âgé de huit ans.
(9) Les 4 places sont comptées exactement, justement.
(10) Colbert
(11) c'est à dire que Colbert sépare le cas dont il est question (la suppression de l'amende) avant la réalisation de tous ses projets (cités plus haut)
(12) La Fontaine n'a pas payé l'amende... Colbert a-t-il "incliné" pour lui ou bien le duc de Bouillon a-t-il payé lui-même ?

La Fontaine et la duchesse de Bouillon

"La vie illustrée de Jean de La Fontaine"
par Léon Garnier
La Fontaine et la duchesse de Bouillon

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